Les mains dans les poches et perdu dans ses pensées, cela faisait maintenant une bonne heure que Chul Hei parcourait les allées de Namsan Park. Enfant, il adorait se promener ici en compagnie de sa petite soeur dont il avait la garde durant les nombreuses absences de leurs parents. Aujourd’hui, il y venait généralement seul. Sa sœur avait bien grandi depuis et il fallait croire qu’elle préférait désormais sortir avec ses copines plutôt qu’avec son frère, mais ce dernier avait toujours autant de mal à regarder sa cadette s'éloigner de lui pour voler de ses propres ailes. Oh bien sûr, il leur arrivait encore de se retrouver ici pour profiter du soleil et du peu de touristes qui s’aventuraient à travers cette verdure - le parc était relativement retiré de la ville, une aubaine pour les Séouliens qui voyaient leur ville envahi par les étrangers - même si depuis quelques mois, l'occasion se présentait de moins en moins souvent.

La fin de la journée approchait et Chul Hei entreprit de rentrer de façon à ne pas se faire piéger par la nuit qui tombait de plus en plus tôt. Dans à peine deux heures, la ville serait plongée dans un noir complet où seules les lumières des bâtiments et celles des lampadaires éclaireraient l'extérieur, il lui fallait donc rejoindre l'école sans trop tarder. En chemin, il lança un dernier coup d'oeil rapide sur sa montre histoire de s'assurer qu'il était dans les temps et plaça deux petites oreillettes dans le creux de ses oreilles avant de s'emparer de son lecteur mp3. Comme tous les jeunes de son âge, Chul Hei aimait la musique. De nos jours, elle était même presque indispensable à la vie de certains et, inévitablement, elle l'était à la sienne. Fasciné par la voix de Beth Gibbons qui le transportait à chaque fois dans un tout autre univers, le jeune coréen s'abandonnait tout juste à la musique quand on le stoppa net. Quelqu'un s'était posté devant lui, lui bloquant le passage. Relevant les yeux vers celui ou celle qui l'avait ramené à la réalité, il tomba nez à nez avec jeune fille au visage magnifique. Le temps de se débarasser de ses oreillettes, il n'entendit que la fin de sa phrase : « (...) je dois avouer que ton visage ne m'est pas du tout inconnu, mais je n'arrive pas à me rappeler de qui tu es et.. ça me chicote. » Le regard plongé dans celui de cette (presque) parfaite inconnue, Chul Hei ouvrit la bouche mais rien n'en sortit, il était comme muet. Lorsqu'il reprit ses esprits, il essaya à nouveau. « Sa Rang.. » ; mais était-ce vraiment elle ?

Ce visage qui lui faisait face lui rappelait affreusement celui d'une fille qu'il avait connu, il y avait des années de ça. Lim Sa Rang était une jeune fille tout à fait charmante et particulièrement jolie, et si Chul Hei s'en souvenait encore aujourd'hui, c'était parce qu'elle avait été son premier amour. Tous les deux auraient pu vivre une magnifique histoire, du moins si son amour pour la jolie brune avait été à double sens.. Aimer quelqu'un qui ne veut pas de nous est quelque chose de particulièrement dure à vivre. Chul Hei, lui, s'en est rendu malade. Un jour, ses parents ont provoqué un carambolage sur une autoroute de Corée. Lui était à l'arrière et, par chance, n'a eu que ne nez de cassé, mais à la suite de cet accident, ses parents ont décidé de déménager. N'ayant pas le courage de l'annoncer à Sa Rang, il est parti sans même lui dire qu'il était encore vivant. Depuis, il ne lui a donné aucune nouvelle. Une simple lettre aurait certainement suffit à rassurer la jeune fille qui était certainement morte d'inquiétude, mais il fallait croire qu'il n'en avait pas eu la force. Il était maintenant face à elle et devrait l'affronter. Reprenant son souffle, il se lança : « Je ne m'attendais pas à te croiser ici, ça fait si longtemps.. » Il marqua une pause et reprit : « Tu m'as manqué.. » A ces mots, il s'approcha un peu plus d'elle et la prit dans ses bras, tentant de masquer les quelques larmes qui lui roulaient désormais sur les joues.

Lorsque Chul Hei se détacha des bras de Sa Rang, cette dernière porta sa main au visage de son ami pour y essuyer les quelques larmes qu’il ne pouvait plus contenir. Le doux contact des doigts fins et gelés de la jeune coréenne sur la peau était à la fois agréable et insupportable. Délicatement, il amena sa main sur celle qui caressait encore sa joue et ferma les yeux pour profiter pleinement de cet instant. « J’aurais tant voulu ressentir ça avant de te quitter, Sa Rang.. » Avant l’accident, tous les deux entretenaient une relation fusionnelle. Inséparables, il passait le plus clair de leur temps libre ensemble à parler, s’amuser.. Aujourd’hui, rien ne semblait s’être envolé, c’était comme si rien ne s’était passé. Leur complicité était de nouveau au rendez-vous et cette facilité à communiquer à travers de simples regards était toujours là. Oh Bien sûr, Chul Hei savait que les choses n'étaient plus tout à fait pareilles et qu'il leur faudrait un certain temps pour que chacun se fasse à l'idée de cette renaissance, on ne fait pas l'impasse sur quatre longues années en si peu de temps, mais la joie qui le submergeait désormais lui avait fait tout oublier. Alors, s'efforçant de revenir à la réalité, il retira la main de Sa Rang de son visage et la serra contre la sienne.

« Comment est-ce que t'as pu partir.. comme ça, sans m'avertir ? Tu ne sais pas l'enfer que j'ai vécu à cause de ça. Les inquiétudes et la peur que je me suis faite à ton propos. » Bien sûr que si, il le savait. Lorsqu’il était parti, elle était la première à qui il avait pensé, et ce n’est qu’après avoir prit la fuite qu’il avait réalisé ce qu’il venait de faire. Il fallait dire qu'on ne lui avait pas vraiment laissé le choix. A peine sorti des urgences, il avait surpris une conversation des plus surprenantes entre ses parents. A bout, sa mère envisageait de quitter la ville et de recommencer une nouvelle vie loin de Séoul tandis que son père essayait tant bien que mal de l'en dissuader. Au final, et après de longues heures de discussions, tous les quatre avaient prit l'avion pour l'inconnu, tirant un trait sur leur vie Séoulienne. A ses vingt ans, Chul Hei fit part à ses parents de son désir d'y retourner pour étudier. Son souhait exaucé, il s'était empressé de faire sa valise et fit sa rentrée à KyungHee. Là-bas, la plupart des élèves le surnomment l'homme invisible qui, telle une panthère, surgit au moment et à l'endroit où on si attend le moins : une qualité enviable, surtout lorsqu'on cherche à éviter quelqu'un à tout prix.. « Et toi tu n’imagines pas l’enfer que ça a été pour moi aussi. Ton absence a été une vraie torture. Chaque jour, je m’effaçais un peu plus » Il marqua une pause avant d’admettre enfin : « J’ai été lâche, et je ne pourrais jamais me pardonner de t’avoir fait souffrir.. Je voudrais juste qu’on essaie d’oublier tout ça, tu veux bien ? » Il s'empara alors de la deuxième main de son amie et la serra aussi fort que la première.

« Je suis tellement contente que tu ailles bien.. » Enfin un peu de tendresse, Chul Hei n’en attendait pas moins de la part de celle qu’il avait aimé durant de longues années. Malgré les quelques petits différents qu’ils avaient pu avoir avant de se perdre de vue, ils n’avaient cessé de se montrer tendre l’un envers l’autre, et c’était ce qui faisait que leur relation était unique. Jusqu’à maintenant, Sa Rang ne savait rien de cet amour que Chul Hei avait eu (et avait encore ?) pour elle, et elle n’en saurait certainement jamais rien, ça valait bien mieux pour l’avenir de leur relation. Tous les deux venaient à peine de se retrouver, ce n’était vraiment pas le moment de se perdre à nouveau pour une histoire d’amourette.. « Tu sais, je n'ai jamais cessé de penser à toi, et j'espérais secrètement que l'on se retrouverait un jour. Partir sans même te laisser un mot a été très dur pour moi. Je pensais que ce déménagement me permettrait de tirer un trait sur tout ça, je pensais être capable de passer à autre chose, mais tu es resté là, ancrée en moi.. »

Chul Hei se figea net. Ce qu’il ressentait exactement ? Lui-même ne le savait pas. Lorsqu’il avait quitté Sa Rang, il était fou amoureux d’elle et ça, depuis des années déjà. Dans une situation comme celle-ci, fuir n’est certainement pas la meilleure solution, mais elle s’était révélée être la plus judicieuse pour le désormais étudiant en médecine. « Sa Rang, je t’aime. Je t’aime et je t’ai toujours aimé.. » Voilà, c’était dit. En seulement deux mots, il avait brisé le silence qu’il s’obligeait à garder depuis des années. Il soupira et baissa aussitôt la tête, à la fois heureux et anxieux. Il imagina une seconde la réaction de son amie face à une telle déclaration et esquissa un sourire crispé tout en relevant les yeux vers elle. Incapable de décrocher un mot, il porta sa main à sa nuque et se gratta nerveusement. « Je m’en suis longtemps voulu d’être parti comme ça. J’ai été lâche.. égoïste aussi. Je t’ai écris à plusieurs reprises, mais je n’ai jamais trouvé la force de poster les lettres. Il y en a d’abord eu une, puis une autre, et elles ont fini par s’empiler dans le fond de mon placard. » Et c’était vrai. Avec le temps, sa mère avait même fini par tomber dessus. Il fallait dire qu'à cette époque il ne faisait pas dans la discrétion, et ses lettres - disposées en équilibre - avaient fini par tomber à l'ouverture du placard en question. Idiot, n'est-ce pas ? Inquiète, la mère de Chul Hei avait demandé des explications à son fils qui avait fait de son mieux pour dériver sur autre chose tout au long de leur conversation, en vain. Mitraillé de questions, il avait du se rendre à l'évidence et tout raconter à sa mère qui, au fur et à mesure des révélations, trouvait son fils de plus en plus pitoyable.

« Tu aurais préféré m’oublier sachant qu’il y avait peu de chances que l’on se voit ? » ou la question à laquelle Chul Hei s'attendait le plus depuis qu'ils avaient entamé la conversation. S'il avait préféré l'oublier ? Au début peut-être, oui. Oublier semblait être une chose facile - du moins à première vue. En réalité, ça s'était révélé être bien plus dur à faire qu'à dire. Loin de Sa Rang, le jeune eodum était comme perdu. Alors, à défaut de pouvoir voir celle qu'il aimait, et aussi celle qu'il ne reverrait sans doute jamais, il passait le plus clair de ses journées à lui écrire. Lorsqu'il ne lui écrivait pas, il pensait à elle, et lorsqu'il ne pensait pas à elle, il mourait à petit feu. « Même si je le voulais, je ne pourrais pas t’oublier. Tu fais parti de moi, que je le veuille ou non.. » Lorsqu'il s'adressait à son amie, Chul Hei apportait généralement une pointe de poésie dans ses propos, d'abord parce qu'il savait que ça plaisait à la jeune gamjeong, et ensuite parce qu'il ne se voyait pas s'adresser à elle comme à une fille banale. Sa Rang était loin d’être une fille « banale », elle était elle, Lim Sa Rang, la fille qui s’était emparé de son cœur il y avait des années de ça, et ça suffisait amplement à faire d’elle une fille des plus respectables.

Chul Hei sourit au contact de la main de Sa Rang dans la sienne. « Et il n’y a qu’à moi que tu as pensé comme ça ? » Il ria intérieurement. Est-ce que la jeune chanteuse voulait s’assurer d’être la seule et unique à avoir bénéficié d’un tel privilège, ou est-ce qu’elle tentait de se rassurer sur les intentions futures de son ami ? Ce dernier avait pourtant été clair en lui avouant son amour quelques minutes auparavant, n’était-ce pas suffisant ? « A qui d’autre est-ce que tu aurais voulu que je pense ? » répliqua-t-il presque immédiatement. « Rassures toi, il n’y a qu’à toi que j’ai pensé comme ça. » La silence s'installa une nouvelle fois. Tous les deux restèrent ainsi un bon moment, main dans la main et heureux de s'être retrouvés jusqu'à ce que Chul Hei entre dans le vif du sujet. « Tu sais, ce que je t'ai dis tout à l'heure, je le pensais vraiment, je t'aime.. » assura-t-il pour la seconde fois, comme pour éclairer Sa Rang avant de plonger son regard dans le sien. « Est-ce que tu penses qu'on pourra rattraper le temps perdu ? Je veux dire.. est-ce que tu penses que toi et moi, on a une chance.. ? » A ces mots, il porta sa main au visage de la jeune Séoulienne et lui caressa la joue du bout des doigts.